Contexte familial et premiers repères

Le récit se déploie entre les viaducs lausannois et les carrières du Mormont à Éclépens (VD), et suit le parcours d’un garçon qui grandit en même temps que s’effrite l’image du père. La vie se partage entre le domicile du père à Lausanne et celui de la mère, près d’une cimenterie qui éventre la colline. L’enfance est marquée par des plaisirs simples et des repères familiers : langues de chat oranges et vertes, bouclettes blondes et un prénom ancré dans la tradition française. À neuf ans, Louis se montre sûr de sa voie vers l’âge adulte.

Du confort, de l’amour, du miel dans le lait, une sœur, un Game Boy, des amis, une amoureuse, des histoires pour dormir, un vélo pour m’écorcher les genoux, je suis le petit dernier, je suis l’homme, toute la place pour moi — écartez-vous s’il vous plaît.

ROMAN DE FORMATION, ROMAN D’EXCAVATION

Exploration des interstices autobiographiques et du modèle paternel

Le roman est présenté comme une œuvre de formation et d’excavation, située entre les viaducs lausannois et les carrières du Mormont à Éclépens (VD). L’auteur ouvre de multiples brèches pour interroger la masculinité tacite et le modèle du père, qui occupe une place centrale dans l’intrigue.

La suite ? Ce sera rompre et recoudre, faire l’université, s’occuper d’enfants dans un foyer — et d’ailleurs « comment faire foyer » ? Voilà quelques-uns des interstices autobiographiques explorés dans J’aurais voulu être douze serpents.

Le portrait du père se construit autour d’un homme au torse velu qui « klaxonne » pour attirer l’attention, saute des plongeoirs et fait gicler de l’eau partout. Cet individu occupe tout l’espace et peut aussi disparaître pendant des mois, revenant à sa guise. Le récit évoque un épisode au lac où le père menace de traiter son fils de « tarlouze » lorsque celui-ci porte le slip de bain rose de sa sœur.

Comment se construire quand on n’a pas d’exemples ? C’est quelque chose que j’explore dans ce livre : comment faire foyer, oui, mais aussi comment devenir un homme, et qu’est-ce que c’est, devenir un homme ? Est-ce qu’on est obligé de faire la même chose que notre père, notre beau-père ?

Le venin, Louis le remarque très tôt, est ancien. L’arbre généalogique en témoigne : « Je parle le langage immémorial de ceux qui se détruisent et démolissent les autres. »

LE GRAIN DE SABLE DANS LA MACHINE

Des artefacts qui déclenchent une quête identitaire

D’anciennes photos familiales et un carnet de poésie que tenait son père, enfant, s’avèrent des découvertes déterminantes. Louis part à la recherche d’une enfance peut-être imparfaite et, surtout, des façons de se réinventer.

Faut arrêter avec cette histoire qu’écrire, c’est trahir sa classe. Peut-être qu’ils m’auraient pris pour un allumé avec mes textes ma gueule ma vie, mes grands-parents Roger et Catherine, mais c’est aussi pour eux que je fais ce livre.

La mère et la sœur apparaissent comme des alliées, les colocataires adoptent un langage humoristique et l’ami apporte une douceur qui tempère le chaos. Dans ce cadre, la figure paternelle n’est pas unique, et l’affirmation de soi passe par le soutien des proches et une écriture qui trace une route personnelle.

Le roman est complété par une alliance avec le groupe Basalte, qui publie un album intitulé Ok Chaos, conçu comme un retravail collectif de cette matière volcanique, répartie sur sept morceaux très texturés et portés par la voix de l’auteur.

FAIRE IRRUPTION, MAIS AVEC STYLE

Une écriture qui s’affirme

J’ai voulu que l’ouvrage fasse impression non seulement par son sujet mais aussi par la manière dont il est écrit. Le texte mêle le « lyrisme du mycélium » à la « poésie de la chaussette sale », avec des punchlines et des ellipses bien placées qui accélèrent la lecture tout en révélant une énergie surprenante.

À l’image du basalte, la langue d’Achille se forge sous des refroidissements rapides face au réel. Le résultat est sombre, mais aussi lumineux.

Daniel Vuataz/ld

Louis Achille, « J’aurais voulu être douze serpents », Éditions Cousu Mouche, septembre 2025. Basalte, « Ok Chaos », Table basse records, 2025.

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